Ah le bon vieux "Takamatsuden bashing"...D'autant plus triste que la naïveté de beaucoup de pratiquants le rend très facile.
Il est vrai qu'une fois qu'on rentre dans des cercles "d'experts", le Bujinkan, Genbukan et Jinnenkan, les écoles nées de l'enseignement de Takamatsu Toshitsugu (Takamatsuden) sont généralement dénigrées comme du "gendai budo", des arts martiaux modernes, au même titre que le judo, le karate, l'aikido et les autres styles créés au début du 20e siècle (même si leurs racines sont bien plus anciennes mais c'est un autre débat)...Et les pratiquants eux-mêmes donnent raison à cela car il est vrai qu'au Bujinkan (l'école que je connais le mieux) beaucoup pratiquent les neufs écoles anciennes comme des arts martiaux modernes (et de ce côté j'ai vu et je vois encore des horreurs mais c'est pas le sujet ici

).
Après, ces mêmes experts es ninja sont parfois à côté de la plaque aussi : la plupart ne sont que des enthousiastes sans formation historique ou méthode scientifique et il leur arrive régulièrement de tomber dans le raccourci et la réduction. La dernière en date lue est que les atemi ne feraient pas partie de la culture des écoles anciennes à cause de l'armure, etc. Oui coco, sauf que la dernière fois que j'ai regardé, ils faisaient des frappes dans les écoles anciennes comme le Yagyu Shingan ryu.

Une autre raison de cette critique est que, pour attester de l'héritage martial des écoles du Takamatsuden, il n'y a que les densho, les notes, rédigées et transmises par Takamatsu. Et après Takamatsu c'est le brouillard total : pas ou peu de trace Toda Shinryuken, le maitre précédent. Mais bon, bienvenue dans le milieu des arts martiaux classiques japonais où tout le monde n'écrivait pas des bouquins, des blogs ou passait dans les journaux ou la télé, qui plus est dans un milieu dissimulé comme le ninjutsu. Et si on va voir du côté d'autres maîtres ninja, c'est pareil : La lignée de Fujita Seiko est absente des radars, idem pour le pharmacien ambulant qui aurait enseigné le ninjutsu à Jinnichi Kawakami. Au moins, on va un cran plus loin avec les écoles Takamatsuden : on sait que Hatsumi Masaaki et les autres ont appris de Takamatsu, car il y des photos et même des films pour en attester, sans parler des nombreuses traces écrites. Mais bon, là encore, rien de vraiment exceptionnel dans le milieu des arts martiaux classiques : même dans les koryu renommées, après deux ou trois générations les soke (héritiers) ne sont plus que des noms dans une liste dont on ne sait plus rien.
Pour revenir à ce que j'évoquais en premier lieux, je pense que le problème de beaucoup de pratiquants est qu'on leur dit que c'est du ninjutsu et qu'ils ne pensent pas plus loin. Dans le Bujinkan par exemple, il y a trois écoles proprement dites de ninjutsu : Togakure ryu, Kumogakure ryu et Gyokushin ryu. Mais les étudiants y travaillent le plus souvent des techniques du Gyoko ryu, du Koto ryu et du Kukishinden ryu pour les armes. Ces trois-là ne sont pas des écoles de ninjutsu. Il n'empêche que j'ai entendu pas mal de gradés parler de ninjutsu alors qu'ils n'en avaient que rarement étudié eux-mêmes.
C'est aussi pour ça, Bastef, que lorsque tu dis :
Et j'ai été bluffé. Lorsque vous avez un petit passé martial derrière vous, et que le Professeur que vous saisissez à pleine main vous somme " Tiens moi comme il faut, résiste" et qu'il vous dégage d'un simple mouvement, alors que vous avez utilisé toute votre force, c'est qu'il y'a quelque chose, une conception du mouvement que je n'avais jamais constaté dans une autre discipline. Sur une saisie du col de vêtement de mon professeur, j'ai même eu le sentiment que plus je le maintenais fermement, plus mon bras était rigide, et que cela lui facilitait la technique (prise de luxation du bras).
Ceci n'est pas propre à une quelconque forme de ninjutsu mais à des formes de jujutsu, taijutsu ou bujutsu efficaces et cohérentes. Comme le disait un de mes professeurs il y a quelques jours, les arts martiaux japonais classiques c'est pas de la rigolade. Cependant, je ne pense pas que c'est par hasard si le Bujinkan d'aujourd'hui se définit comme "budo taijutsu" et non comme ninjutsu.
Sans vouloir critiquer, beaucoup de pratiquants du Bujinkan que je connais (je n'en connais malheureusement pas du Genbukan ou du Jinenkan) ne s'intéressent pas assez au contexte historique des arts martiaux qu'ils pratiquent, pas non plus vraiment à ce qu'est le ninjutsu. J'en ai vu plusieurs y arriver avec des fantasmes de ninja assassins invincibles et silencieux dans la tête, obtenir une ceinture noire plusieurs années après et devenir soit des touristes ou disparaître, car ils se rendaient compte bien tard que leur budo taijutsu n'était pas le saint graal martial qu'ils fantasmaient et qu'en plus c'était des arts martiaux classiques japonais et donc souvent lents et frustrants à développer après un certain niveau ("pas assez gratifiant", comme disait quelqu'un que j'ai connu il y a bien longtemps ici), soit continuer à pratiquer du "ninjutsu" puisqu'on leur dit que c'est du ninjutsu. Dans les deux cas ils n'ont jamais remis leur vision du sujet "à jour". Ils n'ont pas cherché, pas étudié hors du carcan de ce qu'on leur enseignait. Ils n'ont pas fait leurs devoirs, je dirais.
Et c'est vrai que si l'on étudie les ouvrages majeurs sur le sujet (ninpiden, bansenshukai, shoninki, etc.), Ils décrivent surtout des formes de stratégie et de tactique militaires avec des éléments pratiques relatifs à l'espionnage et à la récolte d'information. Même le Takeda Shinobi Hiden, mon ouvrage préféré sur le sujet jusqu'ici, précise qu'un samurai en mission de "ninja" devait être prêt à abandonner son sabre sur place, c'est à dire à avaler son honneur de guerrier et prendre la fuite plutôt que de combattre.
Néanmoins, à la défense des écoles Takamatsuden : contrairement à beaucoup d'idées reçues, les ninja étaient plus des samurai de basse lignée que des paysans et en tant que guerriers professionnels, il serait étonnant qu'ils n'aient pas développé des formes de combat. Un autre concernant l'authenticité discutée du Togakure ryu : Serge Mol évoque dans le livre Takeda Shinobi Hiden les metsubushi (poudre aveuglante) contenues dans des œufs évidés. Je n'ai trouvé ce genre de chose évoqué nulle part d'autre que dans les textes relatifs aux ninja sous les ordres du clan Takeda et de la région de Togakushi, d'où proviendrait le Togakure ryu. Ca supporte un petit peu l'idée que le Togakure ryu de Takamatsu ne serait pas qu'une invention de sa part.

Petite anecdote pour la fin : dimanche passé, j'étais à un stage et mon partenaire d'entrainement de la journée, un vieux professeur très bon techniquement, n'arrêtait pas de me dire "
tu ne dois pas croire aveuglément ce que je te dis, ni même ce que le professeur ici dit.". Le prof en question était l'élève direct (et avéré) d'un maître japonais reconnu et ayant reçu une nomination de l'empereur du Japon. "Food for thought" comme j'aime le dire.
